Booba – D.U.C

«  Le noble chevalier, l’idéaliste, qui se bat contre des moulins à vent, le rêveur qui prend ses hallucinations pour la réalité, le fantasque, le maître et son valet, les pieds sur terre, le valet prosaïque. C’est un couple que nous retrouvons encore dans notre réalité, à la fois alliés et adversaires. C’est un duo qui résiste aux temps qui changent. »
Gunther Grass, documentaire « Cervantes y la Leyenda de Don Quijote », Espagne, 2004
Gustavo ‘Gus’ Fring: You are a wealthy man now. And one must learn to be rich. To be poor, anyone can manage.
Walter White: What advice do you have for me?
Gustavo ‘Gus’ Fring: Never make the same mistake twice.
Breaking Bad: Abiquiu (#3.11)

Le chevalier et le valet. Alliés et adversaires. Don Quichotte et Sancho Panza. Heisenberg et Gus Fring. Booba et Kaaris. Depuis son Ve album, l’eau a coulé sous les ponts, le plomb a été sulfaté sur disques, entre allers simples de la morgue à la maternité, de Brazza à Luna et Omar, de Therapy aux random producers mercenaires.
Le temps d’un battement de Sisyphe, en prélude au VIIe opus, et Booba s’est arrêté de courir sur le ruban de Mobius pour mieux liquider celui qu’il considérait comme son menaçant valet tout d’or noir vêtu.
Entre les deux projets ? La consolidation d’une figure plus polarisante que jamais. Depuis ses débuts, chaque album de l’ancienne gâchette de Time Bomb et 45 Scientific peut faire l’objet aussi bien d’une fine étude du profil psychologique de ses détracteurs et fans du moment (la frontière est souvent mince et réversible) que d’une chronique musicale détaillée.

11127534_10153246149415645_5471204587560246628_nDieudonné. Mourinho. Hitler. Booba. A un moment de ta journée tu devras sans doute entendre parler de ces personnages-là. Te positionner. Et te justifier. « Pour ou contre ? », « pourquoi ? » / « comment ? » / « mais non ». Le prestige des détracteurs est croissant et tout le monde veut son petit morceau de gloire médiatique ou consolider son fond de commerce : Gilles Debernardi du Dauphiné (haut degré d’analyse), Bruno-Roger Petit (haut degré d’analyse x 2), La Fouine, Rohff, Kaaris donc, Tariq Ramadan, Saïd Taghmaoui, Patrick Pelloux. La « classe » politique aussi avec les esthètes Thierry Solère ou Eric Ciotti. Les moulins à vent se mettent en branle au sens propre, stériles comme des unions libres au Bois de Boulogne.

Épié, détesté, adulé, tout le monde joue son petit rôle comme à chaque sortie. Prévisibles comme les chiens de Pavlov. La routine voit même ceux qui s’en moquent prétendûment donner quand même leur petit avis. Tous connaissent son nom, ne veulent pas le prononcer mais finissent quand même par le faire…

En début de chaîne, même phénomène. En terme de schéma préférentiel, le Barça de Guardiola récitait ses gammes : Busquets > Xavi > Iniesta > Busquets > Xavi > Iniesta > Messi > But.

Quasiment depuis Temps Mort, immuablement et avec plus ou moins de réussite, Booba a le sien : intro coup de marteau façon Choi Min-sik > singles pour les clubs / radios > morceaux ogives > touche ragga / reggae syndicale > morceau misogyne. Ici : D.U.C > All Set / Mon Pays  > Temps Mort 2.0 / Mr Kopp / Tony Sosa / Caracas / 3G > Ratpis > G-Love / Jack Da.

Les invités fonctionnent comme des filtres sur une pochette Blue Note : ils impriment immédiatement une couleur aux morceaux qu’ils partagent dans cette fresque couleur charbon / piano / charbon, qu’ils soient physiquement derrière le micro (Gato, Jeremih, Farruko, l’increvable Lino) ou carrément cité et repris (comme Souchon via l’abordage de son Rive Gauche qui fait insidieusement son effet au fil des écoutes, comme un rappel du Mistral Gagnant / Pitbull).

L’album surprise que tout le monde attend(ait) n’est pas arrivé. Le vœu collégial serait de voir se loger à la fin de sa discographie un album brutal et asphyxiant de bout en bout, sans pause, sans chant, minimaliste dans sa forme, riche dans son fond (un vrai Temps Mort 2.0) pour peut-être mieux étouffer définitivement la concurrence. Pour ne plus commettre une seconde fois la même erreur et mieux enterrer celui qu’il a contribué à mettre en lumière,  la némésis Kaaris, Sancho Panza de Sevran qui voit son Maître Don Quichotte de Boulogne être prisonnier du jeu dont il a lui-même dicté les règles, quelque part entre paranoïa, fiction et quête dont il a perdu de vu l’objectif premier : ressortir vivant des locaux de Los Pollos Hermanos, sa commande sous le bras.

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