Navigation à vue pour aveugles en quête de sens.

« Travaille mieux qu’ça où je t’envoie au Lycée Professionnel derrière la Mairie ».
Sacrée menace que je ne prenais jamais à la légère. Rétrospectivement, aujourd’hui encore, je ne saurai toujours pas justifier précisément la psychose que m’inspirait cette injonction.
Peur ? Peur de me retrouver avec le gratin (cramé) qui n’avait pas pu/voulu déjouer la même prophétie parentale ? Même pas, un collège en ZEP donnait déjà le ton et un avant-goût probant. La perspective de passer par l’infamant pseudo entonnoir des filières professionnelles, synonymes d’échec avant et après les avoir incorporées ? Un peu sans doute. Et un peu comme le coureur de 100m qui a eu le malheur de faire 2 faux départs et ne peut pas montrer de quoi il est capable, on s’éternise sur le tartan. Fameux et terrible moment qu’est l’orientation de fin de collège. On joue la montre alors que tout le monde sait déjà que l’on est éliminé, alors qu’on sait soi-même qu’une dernière chance serait la bonne. On prend quand même place pour le départ et on participe à la course. Au bout du couloir, le lycée et ses filières générales. Le lycée, classé ZEP lui aussi. Eviter le L.P, tout ça pour finir en Zone d’Education Prioritaire, satanée plus-value. Avant le départ de la course, tous convergent vers la gare de triage, chacun emprunte sa voie, croit l’avoir trouvée, ou se ment en croyant l’avoir déjà trouvée. Un « on verra bien plus tard » en guise de point virgule.

Vient alors la ligne d’arrivée. Enfin, certains la voient beaucoup plus tôt que d’autres, et pas forcément ceux partis les premiers, sans «handicaps». Ceux-là même qui ont été « punis » en obtenant leurs diplômes professionnels et qualifiants en 2 ou 3 années d’apprentissage, en trouvant très souvent un emploi à la fin de leur formation. 18 ans, un bulletin de salaire, une expérience déjà du monde du travail dans sa propre spécialité. Quelle situation d’échec. En parallèle, 18 ans, un diplôme d’études littéraires général, et un long tunnel qui nous attend en sortant pour les chanceux qui ont « échappé » au Lycée Professionnel. Tous les parcours scolaires ne se déroulent pas avec autant de désillusions durant la course et une fois arrivé. Mais parler systématiquement des trains qui arrivent à l’heure camouflerait l’absence de ceux qui n’arrivent au final jamais.

Amertume et rancœur. Le pire, c’est de savoir que l’on est mort sur le champs de bataille, abattu par un sniper avec tout ce que cela comporte d’anonymat. Qui, pourquoi, comment ? A qui en vouloir ? Objectivement, aucun responsable direct, un ennemi flou, mosaïqué. Et le vertige nous prend quand on croit voir notre propre visage en lieu et place de celui du tireur isolé. Un auto sabotage au moment de l’aiguillage décisif ? Le point virgule s’est fait lifté en points de suspension.

Devrait alors rester le plaisir d’avoir fait de longues études dites supérieures pour la beauté du geste, finalement. Filières littéraires, qui plus est spécialisées et spécialisantes avec un seul échappatoire rentable et conforme : l’enseignement. Une seule voie possible, en des temps où on embauche davantage pour grossir les rangs des forces de l’ordre que ceux du corps professoral, en des temps où le principe des vases communicants ordonne des coupes de budgets et des réductions de poste pour en attribuer –apparemment- davantage ailleurs.

Devraient alors rester les cours pour le GISTI, le soutien scolaire, les stages en collèges et lycées. Au lieu de ça, en fin de chaîne, une chair à canon putride qui farcit les artères de l’ANPE. Le crime fera entrer en bourse nos futurs pénitenciers et maisons d’arrêts privés, le pseudo échec scolaire fera quant à lui la fortune des avatars tout aussi privés de nos futures ex-Agences Nationales pour l’Emploi.

Une réflexion sur “Navigation à vue pour aveugles en quête de sens.

  1. oué ben j’me retrouve littéralement (et études-littérairement) parlant dans ce billet d’humeur.
    bien bien. bonne continuation.

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